L’exploit de Raquel Pélissier : pourquoi tout le monde ne s’y retrouve pas ?

raquel

Dimanche soir Raquel Pélissier, jeune femme haïtienne de 25 ans, a remporté la deuxième place du concours Miss Univers qui s’est tenu à Manille, aux Philippines. Si de nombreux haïtiens ont cru à un éventuel couronnement de leur représentante jusqu’au dernier moment, c’est finalement la française de 24 ans, Iris Mittenaere qui a été élue. Toutefois, la belle performance de la candidate d’Haïti est saluée tant par ses compatriotes que par des observateurs de l’étranger. Cependant, parmi le flot de messages de remerciements et d’expression d’une fierté haïtienne grandissante, certaines critiques et remarques sont à priori arrivées comme un cheveu sur la soupe. D’où la nécessité d’interroger le bien fondé de ces remises en question. Il m’a paru essentiel (a) de m’arrêter d’une part sur le sentiment de fierté qu’on peut tirer de cette expérience ; avant de tenter (b) d’apporter une compréhension de la remise en question de son haïtianité par plus d’un.

Lundi matin après un réveil difficile, je n’ai pas tardé à découvrir que la nuit était également très mouvementée en Haïti. Ce sont les multiples notifications des comptes facebook et twitter de mon amie et ancienne collaboratrice à Radio Vision 2000, Wisline Louissaint, qui ont attiré mon attention. Très vite j’allais comprendre ce que j’avais loupé après avoir été cloué au lit à cause de cette fameuse grippe qui me rend visite régulièrement en hiver depuis un peu plus de quatre ans maintenant. Raquel Pélissier, Miss Univers Haïti 2016 est première dauphine du concours Miss Univers 2017 tenu à Manille, aux Philippines.

Tout le monde en parlait. Je découvrais les multiples posts et tweets de soutien à Raquel. Notre Raquel. Une totale effervescence ! Ma chère amie Wisline, responsable de communication du comité organisateur de Miss Univers Haïti, faisait son travail avec passion et professionnalisme. Oui les deux se mêlent certaines fois. Je revivais chaque petit instant de la soirée à travers ses publications. Comme mes concitoyens, j’étais tout ému. J’ai eu des frissons. Je me suis dit au moins les multiples covoitureurs qui croisent souvent mon chemin ne se contenteront plus de me rappeler que ‘’ca ne va pas chez moi’’.

Dans la foulée, je suis tombé par hasard sur un premier message qui résonne comme une voix discordante. La personne exprimait un malaise face au choix de notre candidate de répondre aux questions qui lui ont été posées en anglais plutôt qu’en créole (ou en français). Evidemment, les réactions n’ont pas été des plus tendres. Plus loin, c’est un billet publié sur le blog la loi de ma bouche qui comme d’habitude a suscité mon entière curiosité. L’auteure se demande : Raquel Pélissier représente-t-elle vraiment la femme haïtienne? C’est l’un des blogs les plus actifs que je connaisse sur la toile à côté de celui de Tim Valda.

L’auteure qui gratifie régulièrement ses lecteurs de textes rédigés avec beaucoup dextérité a tenu son rang à travers son analyse « d’un affreux florilège  injures d’émo-nationalistes révoltés par le racisme, la négativité, l’ignorance, la bêtise, la mauvaise haleine » d’un spectateur sceptique par rapport à la démarche et l’utilisation de l’anglais comme langue d’expression de la représentante d’Haïti. Si je ne partage pas certains détails de son propos, j’avoue que je me retrouve presque totalement dans le fond. J’y reviendrai un peu plus tard. Pour le moment, je vais m’intéresser à ce sentiment de fierté qui a animé tant d’haïtiens et haïtiennes, y compris moi-même, qui suivaient cette nouvelle édition de Miss Univers tant en Haïti qu’à l’étranger.

En faisant une revue de presse aujourd’hui, j’ai pu constater comment l’exploit de Raquel au concours Miss Univers a bénéficié d’une place prépondérante dans les colonnes de Le Nouvelliste-Ticket Magazine et Loop Haïti. C’était de bon augure, me disais-je. Le dénominateur commun des articles ne fut autre que la fierté haïtienne. Dans son éditorial publié ce lundi dans Le Nouvelliste, Frantz Duval évoque un heureux accident. Gaelle C. Alexis précise dans Ticket que « dimanche soir, chaque haïtien a ressenti cette bouffée de fierté ». Un autre article de Ticket titre « la victoire de Raquel est celle d’Haïti, dixit le comité ». Pour sa part, la maman de la jeune femme a confié à Ticket Magazine que « hier soir notre devise a retrouvé tout son sens ». De son côté, Loop Haïti qui a consacré pas moins de trois articles à la Miss Univers Haïti en a titré un : Raquel Pélissier : 1ère dauphine Miss Universe 2016, fierté haïtienne.

Mais, de quoi sommes-nous fiers exactement ? En quoi cette honorifique deuxième place constitue la fierté haïtienne ? Je me suis posé ces questions après avoir écouté ce mardi matin la chronique « la morale de l’info » de Raphael Enthoven, sur Europe 1. Le philosophe français remettait en question le sentiment de fierté manifesté par ses innombrables compatriotes suite à la victoire de leur représentante. Et j’avoue que j’étais scotché. Dans son intervention intitulée « la beauté méprise le drapeau » il souligne :

« L’élection de Miss Univers n’est pas le championnat d’Europe des nations ni le tour de France ni Rolland Garros. Le titre de Miss Univers ne récompense aucun exploit. Si l’élection de Miss Univers en passait par des épreuves sportives, si on récompensait la plus forte ou la plus agile d’entre elles, alors on pourrait être fiers de notre petite française comme on est fiers de nos handballeurs. L’épreuve consiste dans le respect de conditions minimales. On leur demande de marcher, de sourire, de se changer et de parler. Et ce qu’on évalue c’est un tour de taille ou comme dirait Proust, la valve claustrale d’un pubis. En un mot, la récompense ne sanctionne ici aucune prouesse. Un concours de beauté, ce sont juste des ADN qu’on note. […] Quel rapport entre la France et les courbes célestes et interchangeables d’une personne de 24 ans ? Quel rapport entre le drapeau tricolore et l’ADN d’une jeune Lilloise qui aurait parfaitement pu naître ailleurs.

Raphael Enthoven affirme plus loin que « cette histoire de Miss Univers est très grave parce que pour être fier de cette victoire française il faut présumer que la beauté de la jeune Iris est une beauté génétiquement française…, il faut penser qu’Iris est belle parce qu’elle est française ; au lieu de penser comme c’est le cas évidemment qu’elle est à la fois belle et accidentellement française. La beauté française n’est pas une affaire de gène. Or ce présupposé parfaitement raciste d’une beauté qui serait l’heureuse conséquence d’une nationalité est mis en œuvre par tout pays qui croit bien faire en faisant sienne la victoire d’une de ces compatriotes à un concours de beauté ». La morale de l’info : la beauté méprise le drapeau. Cette intervention a fait écho en moi par rapport au cas d’Haïti.

En quoi notre Raquel Pélissier : 1 m 80, une physique de rêve et une tête bien faite, certainement, comme la décrit Loop Haïti, nous rendait fiers ? Comme le souligne Raphael Enthoven, je ne pense pas que son physique de rêve puisse être une fierté haïtienne. Je partage également l’avis de Patricia Camilien qui répond sur son blog à la question de savoir si Raquel Pélissier représente vraiment la femme haïtienne : « Personne ne le peut. La femme haïtienne est multiple. Mademoiselle Pélissier est toutefois une femme haïtienne qui nous a représentés avec brio et qui a permis de donner une autre image de nous que celle d’une misère constante et abêtissante ».

Cependant je pense qu’on peut être fiers de pouvoir nous identifier au symbole qu’elle représente. Cette symbolisation se fait non pas dans son immense beauté mais à travers son écharpe portant l’inscription Haïti. Cela nous amène à notre deuxième point qui consiste à tenter d’apporter une compréhension de la remise en question par plus d’un de l’haïtianité de l’exploit de Raquel Pélissier. Pourquoi tout le monde ne s’y retrouve pas ?

Revenons-en au spectateur sceptique qui s’est fait traiter de tous les noms pour avoir osé cracher dans la soupe. À travers les réactions qu’il a suscitées, on lui a fait savoir, comme le précise Patricia, que  « les Haïtiens sont de toutes les couleurs, de tous les types, parlent toutes les langues ». Je pense qu’ici se pose une question que l’on évite trop souvent d’aborder en Haïti. La problématique identitaire. Je constate chez nous à la fois une forme de déni, d’évitement et de refoulement face à cette réalité qui est inhérente à notre histoire de peuple.

Ici, mon objectif n’est pas de me contenter de vous dire que les distinctions de couleur de peau, de types de cheveux ni de forme du nez habitent nos quotidiens. Vous le savez déjà. Je pense qu’il est urgent que l’on apprenne à vivre avec et en faire notre identité de peuple. Il n’existe aucune société étanche, comme me l’a si bien dit l’une de mes enseignantes en Master 2 après l’attentat de Charlie. Nous sommes tous métissés à un niveau ou à un autre. L’identité requiert une unité dans la complexité. Et ce sentiment de continuité, ce sentiment d’être le même, quand il fait défaut, il peut aller jusqu’à ébranler notre équilibre psychique.

À travers le message de ce spectateur sceptique, j’aperçois la possible souffrance de quelqu’un qui peine à trouver des repères pour s’identifier à notre miss. L’accuser d’être frustré, aigri et raciste pourrait être une double victimisation. Une peine de trop. Nous ne pouvons pas fonctionner en vase clos. Parler plusieurs langues est (un) facteur important dans la création du lien social, entre autres. Attention, je ne suis pas en train de justifier la suprématie de l’Anglais qui prévaut à travers le monde.

Mais, autant que je comprends que Raquel puisse s’exprimer en Anglais durant le concours, autant que je comprends un compatriote qui n’arrive pas à s’identifier à une Miss Univers Haïti qui ne s’exprime ni en créole ni en français (j’en connais certains qui diront que c’est la langue du colon),  et qui porte une robe dorée, signée Diego Fernando Marín Mendoza, un designer colombien. Nous nous limitons tellement à l’observation des faits que le vécu subjectif d’un événement par un individu ne nous dit plus rien. Reste à savoir si cela n’a pas toujours été le cas. Si notre société ne cesse pas d’être le théâtre d’une dichotomie nèg andeyò/nèg lavil, moun anwo/moun anba, tiwouj/tinwa, nous sommes encore très loin de retrouver une fierté commune et de parler tous d’une seule voix.

Je me souviens de cette jeune femme qui venait de Saint-Martin avec qui j’avais réalisé un entretien clinique de recherche en 2014. À un moment donné, je lui avais demandé comment elle se définirait depuis son installation en France Métropolitaine. Elle m’a répondu spontanément : « Je suis juridiquement française, mais culturellement saint-martinoise ». Sa réponse montre que ce n’est pas forcément avec un statut juridique que le sentiment d’identité va s’installer. C’est un processus complexe et dynamique dont les résultats dépendent d’une interaction entre des facteurs externes et des facteurs internes. Pour y parvenir il faudra une prise de conscience et une implication d’ordre individuel, interpersonnel, groupal et institutionnel. On appelle les pompiers pour maîtriser un incendie, pas pour le prévenir. Fòk nou sispann tann lè kabrit fin pase pou n ap rele fèmen baryè.

Matt

 

 

 

 

Auteur : Jeff Cadichon

Docteur en psychologie clinique et psychopathologie.

10 réflexions sur « L’exploit de Raquel Pélissier : pourquoi tout le monde ne s’y retrouve pas ? »

    1. .
      Bien plus qu’une compétition,
      c’est le flot de l’âme en action,
      chaque remous du cœur
      l’épanouissement d’une fleur,
      la volupté à chaque pas…
      La beauté de la rose n’est pas
      seulement celle de la jeunesse
      elle est l’image de la finesse,
      du goût, de la sûreté de soi,
      de la prestance, de l’excellence,
      la quintessence de l’élégance,
      plus délicate que la soie,
      l’essence si fragile et si divine,
      la couronne d’une dauphine….

      A Raquel Pélissier…

      .
      N otre drapeau flotte
      O ù que nous allons….
      T oute notre fierté, au cœur
      R aquel la porte haute…
      E lle est certes notre fleur…

      D otée de tant de talents,
      A son arc tant de dons,
      U ne étoile de l’univers
      P ortant la lumière du temps,
      H aïti dans son âme,
      I mmense l’amour et sa flamme.
      N e la voyez vous pas sur la mer,
      E lle se lève comme le soleil…

      A Raquel Pelissier…
      Notre dauphine…

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  1. Moi je dirais autant d’humain autant d’opinion !
    Un haitien possedant des aptitudes et pouvant parler plusieurs langues c’est un atout. Moi je vois le côté astucieux de la jeune Pelissier en se servant de l’anglais pour repondre aux questions, puisque c’est un concours international , elle a du comprendre que s’ ils ont fait choix de poser les questions en anglais elle peut bien aussi repondre dans cette même langue. On pourait se demander aussi pourquoi les questions n’etaient pas poser dans leur langue respective , s’il etait obligatoire de repondre dans leur langue maternelle ?

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  2. Je dois signaler d’abord que je n’ai pas suivi le concours, et je n’ai même pas regarder la finale. Mais j’ai lu les articles (surtout les votres) suivi les différents commentaires liés à ce sujet.
    Je pense que quelqu’un est en son doit de demander Est-ce qu’elle a vraiment représenter Haïti.
    Est-ce que le mot Haïti écrit sur une écharpe suffit – elle a une représentation?
    Moi aussi j’ai été étonné quand j’ai appris qu’elle a préféré parler l’anglais au Créole.

    Le créole est l’une des rares et vraies choses qui nous marque vraiment notre identité!
    Nous avons fait toutes nos révolution en Créole!
    (Je veux signaler que j’estime ces efforts, que je valorise et apprécie le fait qu’elle a porté notre drapeau….)
    Mais on est en doit de se demander concrètement, qu’est ce qui fait qu’on peut dire qu’elle nous a représenté?
    Est-ce le petit Mot « Haiti » écrit sur ces écharpes?
    Ou as-t’il y eu vraiment de quoi s’identifier dans ces prestations?

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    1. Qui vous a dit qu’elle a préféré parler l’anglais au créole ?
      Pensez-vous le fait de s’exprimer en anglais dans un concours de si grands standards vous enlève votre identité haïtienne ?
      Vous avez dit que : « Moi aussi j’ai été étonné quand j’ai appris qu’elle a préféré parler l’anglais au Créole ».
      Moi, je suis tout aussi sidéré par vos remarques clairement exprimées dans un français assez soutenu !
      A se demander si vous n’êtes pas haïtienne, puisque vous avez refusé de faire passer vos idées en créole que vous avez osé qualifier de « chose » et non reconnue comme langue (Le créole est l’une des rares et vraies choses qui nous marque vraiment notre identité!).

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  3. Pourquoi vous ne faites pas de grands débats sur des questions fondamentales de l’existence humaine, cela aiderait à réfléchir et à atteindre de hautes sphères vibratoires au lieu de perdre du temps dans ces bassesses.

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