Never forget where you’re from! The first part is the most important!

Au début du mois d’avril 2017, j’ai participé à une belle aventure humaine tenue à Berlin, en Allemagne. L’European Regional Spring Conference organisé par OSF Scholarship Programs à l’intention des différents bénéficiaires du Civil Society Scholar Award Program dont je suis récipiendaire pour l’année universitaire en cours, Civil Society Leadership Awards, Disability Rights Scholarship Program etc.

J’étais tout excité à l’idée de rencontrer plus d’une centaine de collègues de différentsBerlin_OSF-10 pays pour parler de nos recherches et nos engagements communautaires. Par ailleurs, j’étais tout aussi ému de pouvoir être le –seul– représentant d’Haïti à cet événement ; mon ami et ancien camarade de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’État d’Haïti, Raynold Billy, lui aussi convié, n’a pu faire le déplacement. Un statut qui m’a un peu mis la pression.

Le bilan a été très satisfaisant. J’en garde de bons souvenirs de cette Allemagne que je découvrais pour la première fois, particulièrement la capitale, où j’ai eu la possibilité de marcher sur les traces de l’histoire par la visite de ce qu’il en reste du mur de Berlin. Cette promenade historique m’a conduit à des années en arrière, bien avant ma naissance. J’étais stupéfait devant les vestiges, au sens propre comme au sens littéraire, rappelant la scission de ce pays en deux républiques en 1945, malgré la réunification du 3 octobre 1990.

J’ai fait de belles rencontres sur le plan académique et professionnel qui laissent présager d’éventuelles collaborations dans le futur. D’ailleurs, cette conférence avait aussi pour objectif de permettre aux participants de faire du réseautage. Je me rappelle de cette conversation à table, lors d’une pause-déjeuner, avec l’éminente professeur Rukmini Bhaya Nair qui me parlait de l’importance des récits narratifs pour une meilleure compréhension de la complexité de ma problématique de recherche. Nous avons aussi échangé sur la nécessité de prendre en compte des facteurs contextuels d’ordre historique et culturel dans l’utilisation des tests projectifs. Réagissant à mon souhait de pouvoir proposer, à partir des résultats de ma thèse, des outils adaptés pour l’accompagnement de la population juvénile en Haïti, une autre participante qui partageait notre table m’a conseillé la pratique de l’EMDR.

Je repense également à ce moment d’échange enrichissant, lors d’un boat tour, avec unBerlin_OSF_11 étudiant biélorusse. Nous étions tous les deux émus de pouvoir découvrir chacun à travers l’autre un nouveau pays, de nouvelles valeurs et représentations, de nouvelles langues. Il ne savait pas qu’Haïti n’est pas un département français d’outre-mer, que le créole est notre langue maternelle. Il n’était pas au courant de l’épopée de 1804. Il ne savait pas non plus pour les crises économiques, sociales et politiques. Ce jour-là, il en aura entendu parler pour la première fois.

De mon côté, je ne savais pas que la Biélorussie n’était pas « démocratique », que l’actuel président est en poste depuis près de 25 ans, que les inégalités sociales y sont aussi criantes qu’en Haïti, que le pays ne faisait pas partie de l’Union Européenne etc. J’étais loin de me douter, encore moins après avoir pris connaissance des points précédents, que ce pays reste tout de même une destination touristique intéressante. Par ailleurs, ma rencontre avec mon camarade de chambre congolais le temps du congrès fut elle-aussi extraordinaire. Un véritable retour aux sources. De belles retrouvailles !

Parmi ces rencontres les unes plus enrichissantes que les autres, il y en a une qui m’a particulièrement marqué. Elle est d’ailleurs à l’origine de ce texte. Un matin lors du petit-déjeuner, de manière impromptue, j’étais à table avec un allemand qui ne faisait pas partie de la délégation du congrès, mais qui séjournait lui aussi au Steigenberger Hotel. Comme à chaque repas, on faisait connaissance. Ces échanges furent pour moi un vrai moment de jauger mon anglais qui s’est révélé plutôt compréhensible, même s’il y a encore du travail à faire.

– Where are you studying?, m’a-t-il demandé.

– I’m studying in France, but i’am from Haiti. And…? (Je n’ai pas eu le temps de lui  retourner la question).

– Ahh ! Haiti! A Caribbean island!

– Yes! You know Haiti?

–  Yes I do! It’s a beautiful country. I plan to go.

A cet instant précis, je me suis senti heureux. Je ne saurais dire pourquoi. En y réfléchissant, je me suis dit peut-être parce que ce fut l’une des rares fois, depuis que j’ai quitté Haïti en 2013, que j’ai décliné mon nom et mon pays d’origine, et mon interlocuteur n’associait pas spontanément ce dernier à des adjectifs péjoratifs. J’ai tellement entendu de commentaires désobligeants, que certaines fois, je ne prends plus la peine de faire une quelconque mise au point. Pourtant, face à cet homme, je n’en ai pas ressenti le besoin. He thought outside the box! Il était dans une autre dynamique de pensée.

            – Oh that’s amazing! You’re from Haiti. You’re studying in France. And now, you’re in Berlin, a-t-il poursuivi.

            – Yes! That’s so excited, lui ai-je répondu.

Et à ce moment là, je ne savais pas que le meilleur mais aussi le plus bouleversant était à venir. Il m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit ces propos qui, sans aucun doute, continueront à rebondir en moi pendant longtemps.

            It’s an amazing experience. But, i want to tell you something. Never forget where you’re from. The first part is the most important.

La suite ne fut que du bonus. Cet homme qui doit être dans la cinquantaine m’expliquait que c’était important de ne pas me replier sur moi-même, de m’ouvrir sur le monde, d’aller à la rencontre de nouvelles cultures, de ne pas avoir peur de me heurter à l’altérité. Il me disait d’un ton sincère et honnête que cela me permettra d’avoir une ouverture d’esprit et une meilleure compréhension de ce monde complexe, « beau et terrible à la fois », pour reprendre Ta-Nehisi Coates dans Une colère noire – Lettre à mon fils. Il a conclu en « m’exhortant » qu’au-delà de tout cela, il est fondamental de rester fidèle à mes racines, de ne jamais trahir mes origines.

Ces paroles ont fait écho en moi. Elles y résonnent encore. Il est vrai que cet homme aurait pu jouer avec moi, de manière inconsciente, la relation qu’il entretient avec son jeune fils de mère turque. Ce garçon qui va devoir articuler valeurs et représentations culturelles turques et allemandes, et par là-même trouver une cohérence entre des pôles identificatoires parfois contradictoires. À qui s’identifier ? Que doit-on garder ou écarter ? Autant de questions auxquelles il tentera de répondre. S’il s’avérait vrai que mon parcours a mis cet homme face à l’histoire de son fils et son devoir père, alors j’ose espérer que nous gardons tous les deux un souvenir mémorable de ce petit-déjeuner.

J’en retiens que l’identification à l’origine tout en n’y étant pas emprisonné peut être un levier prépondérant pour garder un sentiment de continuité face à l’altérité, un sentiment d’unité dans la diversité, celui d’être le même tout en étant différent. Alors, quelque soit l’endroit où vous vous trouvez en ce moment, vous avez une histoire. Cette histoire, elle a un début. Peu importe, le chemin que vous entreprenez, rappelez-vous d’où vous êtes parti. Et la suite à y donner sera de plus en plus claire.

Je pense que même si vous tentez de l’oublier ou de l’occulter de votre histoire de vie, ce starting-block vous rattrapera. Le coup de feu du starter pourra même faire irruption dans vos rêves et se manifester à travers vos lapsus et actes manqués. Alors, même si c’est un début que vous jugez difficile, vous pouvez vous en servir pour rebondir. Ne le subissez pas. Dominez-le. C’est peut-être facile à dire. Mais cela vaut le coup d’essayer. C’est donc à mon tour de vous dire: Never forget where you’re from! The first part is the most important!

Matt

Auteur : Jeff Cadichon

Docteur en psychologie clinique et psychopathologie.

9 réflexions sur « Never forget where you’re from! The first part is the most important! »

  1. Un récit initiatique déconcertant, surtout qu’il s’est inséré dans le texte un extrait témoignant de la distance parcourue depuis 2013 pour s’accepter, se comprendre et se reproduire dans une société autre et à l’intérieur d’une culture diversifiée dans les « dits », mais pétrifiée dans sa pratique reconnue du rejet de l’altérité. L’agence « Tout-Monde » qui a habité le rêve du caribéen Edouard Glisant bat encore la semelle devant la porte occidentale. Là-bas, pour y arriver, on doit apprendre à se mettre à la queue leu leu … à bientôt pour une autre épopée !🤝

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